Journal de bord de ma résidence - novembre 2008-mai 2009
Novembre :
Retour de Berlin. 1er séjour à Yvetot. Découverte des lieux et des conditions de travail. Pas d'atelier. Accueil chaleureux.
Désarroi : qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce
qu'un artiste en résidence dans un hospice de vieillards ?
Pas de nouvelles de ma mère, partie pour la Roumanie il y a cinq semaines : elle a coupé tous les contacts.
Pascal me fait visiter les locaux et me présente aux différents services. Passant devant la chambre mortuaire, il me dit : « où je travaillais auparavant, on appelait
ça la petite maison ». Cette expression est belle. Je songe à l'utiliser mais ne sais pourquoi ni comment.
Décembre :
2ème séjour à Yvetot. Je propose d'animer des ateliers
de dessin dans chaque pavillon pour rencontrer les résidents
et me sentir utile. Je me promène dans les
couloirs avec ma caméra, un appareil photo et un carnet
de dessin. J'erre. Films et photographies me mettent
mal à l'aise. Je me trouve obscène derrière ces
regards mécaniques.
J'accompagne Maman à l'Institut Curie. Son état de
santé est désastreux. Depuis un an, elle refuse de soigner
le réveil de sa tumeur. Son cancérologue m'annonce
qu'elle a quatre mois devant elle. Pas de place
à Curie. Les hôpitaux, à la veille de Noël, affichent
complet. Si j'habitais à Yvetot, Maman pourrait peut-être
être soignée dans l'hôpital où je travaille.
Mars :
7ème et 8ème séjours. Les portraits et saynètes que je dessine commencent à former un ensemble qui prend sens :
je capte le déroulement quotidien de la vie des résidents. Certains me racontent leur vie. Ils racontent bien. Je découvre des amitiés et des rancoeurs.
J'aime ceux qui résistent, qui s'obstinent à vivre dignement. Je propose de réaliser une fresque pour l'escalier du pavillon Maupassant.
J'ai trouvé une maison de retraite pour Maman à Poissy. En arrivant, Maman me dit : « Ce n'est pas la Riviera ! ». Sa chambre lui convient.
Le personnel est très attentif. Je crois que mon expérience à Yvetot m'aide à établir avec eux des relations cordiales. L'équipe médicale est remarquable.
Maman ne divague plus. Elle aime bien les gens qui la soignent et ils le lui rendent. Elle ne mange toujours rien.
Ses gestes sont très lents.
Avril :
9ème et 10ème séjours. J'utilise pour la fresque des thèmes de la toile de Jouy : nature idyllique, passé romanesque, mais des formes cauchemardesques
ne cessent de surgir de mes tracés. Je tente de les contenir sous des couleurs vives.
Maman meurt sa main dans la mienne; calme, endormie. J'entends dans le couloir deux vieillards qui remontent du dîner. Ils se taquinent. Je ne dois pas les effrayer.
Je ne pleure pas, Je ne parle pas. Je ne peux pas.
Mai :
Dernier séjour. Vernissages.
Juin :
Je reviens faire visiter à quelques résidents mon exposition à la galerie Marcel Duchamp. Puis nous allons prendre un goûter en terrasse dans le centre ville.
Il fait beau avec un peu de vent. Dans quelques jours ce sera l'été.
Ces dessins sont des jeux sur l'inconscient. Les images montent de traces et taches disposées sur le papier de façon aléatoire.
Petit à petit, je pousse certaines formes jusqu'à une imbrication de choses issues de mondes différents:paysages urbains, mythologies, bêtes imaginaires…
J'utilise en gros tout ce qui me tombe sous la main pour dessiner.
Je ne cherche pas, à proprement parler, à dessiner une histoire mais plutôt à suivre une logique du rêve. Cette série est apparue en novembre dernier alors que,
séjournant à Berlin, je cherchais une réponse à mes peintures à l'huile, elles aussi assez oniriques, pour voir comment, avec des techniques plus légères
que l'huile, mon travail allait réagir.
Je suis satisfaite d'avoir trouvé ainsi une nouvelle voie pour mon travail que je conçois de plus en plus comme une quête personnelle.
Non que je me trouve particulièrement passionnante, mais il se trouve que c'est par moi que je vois le monde.
Ma vie quotidienne me met en face de la mort, du temps qui passe, de joies, de situations loufoques ou banales qui dans ma mémoire se mêlent et jouent avec ce musée
imaginaire dont parlait Malraux. Celui-ci n'avait peut-être pas imaginé à quel point la prolifération des musées et des reproductions d'œuvres d'art
allait être contemporaine de la prolifération de l'image tout court. Tant et si bien que si je me laisse aller, Raphaël côtoie Corto Maltèse, Bosch
flirte avec Burton, L. Caroll avec une carte postale de Pompéi, plus quelques feuilletons fétiches de mon enfance...
On retrouvera là des vieux chemins surréalistes que je ne renie pas, avec l'utopie de l'automatisme et, peut-être, une utopie plus vieille encore où
l'artiste, un moine plus ou moins défroqué, se disait inspiré.
Ce travail demande une nourriture abondante de situations propres à exciter l'imaginaire. Mon engagement dans différents projets artistiques avec
des structures comme la prison, l'hôpital psychiatrique, l'hôpital gériatrique, est une manière d'aller au devant de la question du visible.
Je ne crois pas que vous verrez dans mes dessins des images descriptives de ces lieux si impropres au regard. En revanche, le lien entre les émotions que
réveillent ces expériences et la nécessité d'agir qu'elles engendrent, est bien présent
mhf