MARIE-HÉLÈNE FABRA
la corvée des feuilles mortes
24 novembre -12 décembre 2010
château de la forêt Livry Gargan 93
De 1950 à 1954 ma grand-mère a été emprisonnée en Roumanie comme détenue politique. Elle était née avec un titre de la noblesse roumaine,
avait grandi en France, s’était mariée à un Roumain, lui-même fils et petit-fils d’hommes politiques de premier rang. Mon grand-père fut assassiné.
Elle, est morte en France où elle trouva exil à la fin de sa vie. J’ai hérité de ses mémoires mais j’étais alors une petite fille et je ne les ai
retrouvées qu’à la mort de sa fille, ma mèrei.
La corvée des feuilles mortes est une des histoires qu’elle raconte. Un jour, des gardes lui demandèrent de ramasser à la main les feuilles de
l’automne qui jonchaient la cour de la prison où elle se trouvait. Les seules qui l’aidèrent en bravant les interdits des « sécuristes » furent les
plus misérables détenues de droits communs : tziganes, voleuses, prostituées. Elles devinrent amies.
Un soir, elles demandèrent à ma grand-mère une faveur. Pourrait-elle leur raconter des histoires, des livres qu’elle avait lus ou bien des choses
qu’elle avait vécues « avant » car elles, n’avaient jamais lu et ne savaient que répéter leurs affaires immensément banales et tristes.
Ces réunions étaient évidemment interdites mais ma grand-mère accepta et chaque nuit elle se glissa dans le dortoir des « droits communs » et
devint conteuse. La première histoire qu’elle choisit fut Cyrano de Bergerac parce qu’elle voulait commencer par une belle histoire d’amour.
Elles pleurèrent beaucoup et elles en furent très heureuses.
Il y avait aussi des photographies qui peuplèrent mon enfance, noir et blanc, pleines de princes, de rois, d’enfants tout de blanc vêtu que ma mère
voulait que je regarde comme les dernières images de l’Atlantide ou du Paradis perdu.
En les retrouvant et en les juxtaposant aux monstres qui surgissent dans mes dessins, je crois commencer à comprendre quelque chose de moi-même.
Ce n’est déjà pas si mal.
© Marie Hélène Fabra - 2013